Gros con

À quoi bon s’égosiller? Quand les foules vocifèrent, se taire serait préférable. Chaque fois, je me laisse surprendre par les rezosocios et ce besoin irrépressible de dire son fait, de hurler plus fort que l’autre, de cracher dans un coin. 

Existe-t-il un gène du gros con? Devient-on un gros con ou l’est-on tout petit déjà? 

Je me souviens de la jouissance que l’on éprouvait à voir Les Valseuses, le film de Blier. Dewaere et Depardieu y jouaient déjà le rôle de gros cons, obsédés par leurs bites, des prédateurs en chasse de culs à bourrer. Dans le film, les femmes sont des proies. Mais c’est la transgression qui l’emportait, cette capacité à se foutre du monde, d’un ordre moral aux habits étriqués qui pétaient alors de toutes ses coutures. On était en 1974. L’hypocrisie de la bien-pensance explosait de toute part et les mots du sexe en étaient les détonateurs. On avait raté la révolution, mais on pouvait se déboutonner la braguette. 

Sans doute a-t-on oublié qu’il s’agissait surtout de paroles d’hommes. La transgression était essentiellement masculine. Si le carcan moral volait en éclat, c’était dans la bouche des mâles. La femme subissait et avalait sur ordre. Thelma et Louise, cette autre transgression, viendra beaucoup plus tard. 

Depardieu a longtemps gardé cette décontraction dans le geste et les mots. Son jeu osait tout. Et on laissait ses personnages exister. 

La bascule dont on ne s’est pas tout de suite rendu compte, c’est lorsqu’il n’a plus joué vraiment. Il devenait son personnage. Pire, il le phagocytait. À l’écran comme en dehors, il s’incarnait encore et encore.

On peut jouer un gros con sublime. Et Depardieu l’a fait longtemps. Il gardait alors une certaine dérision de lui-même. Et le monde encourageait ses excès. 

Puis, il a tout mélangé. 

Saint-Augustin et l’islam, Poutine et Obelix, les chattes sur un toit brûlant et Khadirov, les insultes et le pinard, Cyrano et Sarkozy, les exils fiscaux et la main de ma sœur, Dr Jekyl et Mr Hyde, la Belle et la Bête, Barbara et mes couilles sur la table, la salade russe et un cul sur la commode. 

Alors, est-on ou naît-on gros con?