Dicker en salade de printemps

On revient sur l’affaire des salades de Joël Dicker. Isabelle Falconnier livre son opinion dans Le Temps. Selon elle, si L’Animal au rayon légumes des supermarchés permet de toucher un lecteur de plus, c’est déjà une petite victoire.

Imaginez le gars qui n’aurait jamais ouvert un bouquin de sa vie, qui penserait qu’Hercule est un poireau ou confondrait Bouillon de culture et soupe légère, que ce gars, par un heureux hasard consommateur, choisissant un cucurbitacée à l’étal d’un géant de l’alimentation, tombe en extase devant le petit Dicker illustré, le ramène chez lui et le cuit aux p’tits oignons. Et un lecteur de plus, un!

Je pense sincèrement qu’elle se trompe.

Un lecteur de Dicker, n’est pas (nécessairement) un lecteur de gagné à la cause littéraire. Dit-on d’un bouffeur de burger au MacDo du coin qu’il devient adepte des sapidités gastronomiques? 

On n’apprend pas le goût des choses et du monde dans les cuisines des fast-foods. 

Prenez un salon, une foire aux livres comme il en existe des dizaines. Approchez-vous de la cohorte en attente impatiente d’une dédicace de Joël Dicker. Tentez de proposer la lecture d’une autrice ou d’auteur qui attend le chaland dans le même salon, à quelques pas de là, il suffirait de peu pour le rencontrer, ouvrir son livre et, qui sait, découvrir quelque de frais, de neuf, de surprenant… or c’est dans les queues interminables de lectrices et de lecteurs de Dicker que les « ça ne m’intéresse pas » fusent le plus souvent. Vous ne vouliez rien vendre, à peine un instant de lecture, un petit cadeau entre quatre yeux et une oreille.

Expérience faite. Plusieurs fois. 

Je ne crois pas que des livres comme ceux de Dicker ouvrent à d’autres lectures, attisent une soif de se plonger dans d’autres mondes, d’affronter des plumes plus complexes, de gravir des sommets inattendus. Au contraire. Ils se suffisent à eux-mêmes. Ils créent cette sensation rassurante que le « sujet, verbe, complément », associé à une construction habile, un suspens de série télévisée, que tout cela nous remplit. 

Là où Isabelle Falconnier a raison, c’est lorsqu’elle écrit que « notre seule question (…) devrait être: comment rendre le livre accessible et désirable? » Sur ce terrain-là, je la rejoins entièrement. Là où sont les gens? D’accord. Dans un supermarché? Pourquoi pas. 

Mais ce ne sera pas avec un navet sympathique. On pourrait peut-être inventer de jolies salades en couleurs. Au fond d’un beau jardin potager, par exemple.

La soupe aux légumes

Joël Dicker sort son nouvel opus. Et des libraires s’étranglent de voir cet « Animal sauvage » côtoyer le rayon fruits et légumes des grandes surfaces. Je souris. Si l’on était vache, on dirait qu’il est normal de voir un navet à proximité des carottes. La blague est un peu facile. On ne va pas se raconter de salades. En réalité, elle ne trahit qu’une chose: la vengeance mesquine d’un auteur sans succès qui juge un autre auteur dont le moindre geste littéraire fait le tour du monde en moins de 80 jours. Je n’ai pas lu l’Animal. J’avais ouvert le premier, l’Affaire…sincèrement, prêt à reconnaître et à m’incliner devant un talent. J’ai lâché à la page 102, après « c’était un jour de mauvais temps ». 

Mais je reviens au centre commercial qui, entre les fraises en février et le rayon boucherie, vend du Dicker à prix cassé, provoquant la colère des libraires. 

Je souffre avec eux. Les mastodontes du commerce ont flairé le filon et ils jouent sans risque. Ils peuvent allègrement se permettre de réduire ainsi leur marge. « Mettez-moi trois tranches de Dicker! ». « Je vous l’emballe ? ». 

Pour les commerciaux de Rosie&Wolf, c’est du chiffre en plus. Tout bénef. Et la catastrophe annoncée dans les caisses agonisantes des libraires. 

Il est loin, le temps où ces mêmes libraires se frottaient les pognes à l’arrivée d’un petit Dicker de printemps. Certains annonçaient même des pré-commandes sur leurs rezosocios et ces annonces ressemblaient un peu à une jambe dont on découvrait le galbe en remontant la jupe (normal, c’était le printemps). On avait beau leur dire qu’ils se fendaient rarement de ce genre d’annonce pour célébrer l’arrivée au monde d’autres livres. Que cette littérature-là, franchement, ne méritait pas une telle promotion, qu’elle n’en avait même pas besoin… 

On oubliait souvent qu’eux, précisément, en avaient besoin. L’univers du commerce est impitoyable. Un navet qui se vend est préférable à une perle qui dort!

Il est plus loin encore le temps où la fonction première du libraire était justement de vous faire découvrir cette perle, d’avoir le temps de la chercher, de veiller au grain littéraire, parce qu’il avait une clientèle ouverte à ces découvertes, avide même. Le temps et la curiosité. Ils et elles existent encore, parfois, ces rêveurs de marque-pages, ces exploratrices du bouquin rare dont la lecture vous ouvre les portes du paradis, mais l’espèce est en voie de disparition. 

Les bibliotopes s’épuisent si les libraires n’ont pas le temps de la curiosité. Et si cette affaire de Dicker au supermarché sonnait le réveil? On pourrait songer à des libraires qui prennent le risque de nous surprendre. 

Le bouc et la brebis


La raison du plus fort n’est jamais en son sexe :
Nous l’allons montrer sans complexe.
Une brebis se promenait
Une nuit de pleine lune
Survint un mâle en rut, qui cherchait la fortune
Que le dédain en ces lieux attirait.
Qui t’autorise, hardie, à vaquer ainsi nue ?
Dit l’animal qui de fait insinue
Qu’une culotte à l’air est un appel clair
Un petit cul fragile, se cache dans les villes.
Non, répond la fille,
Si votre bite se désaltère
Dans le lit des rivières
Où coule votre foutre
Je ne suis point une outre
Sachez que je préfère
Ma liberté légère
Si tel est mon désir
Pour ainsi me vêtir
Gardez vos conclusions
Au fond de vos caleçons
Et apprenez seulement
Ce qu’est consentement.
Là-dessus, d’un pied de nez
Elle laisse seul hébété
Le bouc et son petit gourdin
S’amuser seul avec sa main.

Gros con

À quoi bon s’égosiller? Quand les foules vocifèrent, se taire serait préférable. Chaque fois, je me laisse surprendre par les rezosocios et ce besoin irrépressible de dire son fait, de hurler plus fort que l’autre, de cracher dans un coin. 

Existe-t-il un gène du gros con? Devient-on un gros con ou l’est-on tout petit déjà? 

Je me souviens de la jouissance que l’on éprouvait à voir Les Valseuses, le film de Blier. Dewaere et Depardieu y jouaient déjà le rôle de gros cons, obsédés par leurs bites, des prédateurs en chasse de culs à bourrer. Dans le film, les femmes sont des proies. Mais c’est la transgression qui l’emportait, cette capacité à se foutre du monde, d’un ordre moral aux habits étriqués qui pétaient alors de toutes ses coutures. On était en 1974. L’hypocrisie de la bien-pensance explosait de toute part et les mots du sexe en étaient les détonateurs. On avait raté la révolution, mais on pouvait se déboutonner la braguette. 

Sans doute a-t-on oublié qu’il s’agissait surtout de paroles d’hommes. La transgression était essentiellement masculine. Si le carcan moral volait en éclat, c’était dans la bouche des mâles. La femme subissait et avalait sur ordre. Thelma et Louise, cette autre transgression, viendra beaucoup plus tard. 

Depardieu a longtemps gardé cette décontraction dans le geste et les mots. Son jeu osait tout. Et on laissait ses personnages exister. 

La bascule dont on ne s’est pas tout de suite rendu compte, c’est lorsqu’il n’a plus joué vraiment. Il devenait son personnage. Pire, il le phagocytait. À l’écran comme en dehors, il s’incarnait encore et encore.

On peut jouer un gros con sublime. Et Depardieu l’a fait longtemps. Il gardait alors une certaine dérision de lui-même. Et le monde encourageait ses excès. 

Puis, il a tout mélangé. 

Saint-Augustin et l’islam, Poutine et Obelix, les chattes sur un toit brûlant et Khadirov, les insultes et le pinard, Cyrano et Sarkozy, les exils fiscaux et la main de ma sœur, Dr Jekyl et Mr Hyde, la Belle et la Bête, Barbara et mes couilles sur la table, la salade russe et un cul sur la commode. 

Alors, est-on ou naît-on gros con?

La fin du Palarbre

Il est parfois nécessaire de repenser aux objets que l’on imagine. Et se dire qu’on s’est trompé. 

Lorsque je j’ai conçu ce truc, Le Palarbre, je le voyais déjà, avec ses fruits de couleurs, beau comme un animal tranquille, posé dans le décor d’une librairie ou d’une bibliothèque en attendant le chaland. Un chaland qui s’extasierait devant la simple beauté des choses en cueillant allègrement les fruits sonores de cet arbre étrange pour écouter les histoires qu’il raconte. 

Et… non! C’est un flop. À part les enfants, personne ne s’y intéresse. 

Le Palarbre est un décor invisible. On ne touche pas aux branches des arbres. Les casques sonores sont vus peut-être comme les porteurs des germes du monde, des virus sournois, des propagateurs de goutte au nez. 

On ne touche pas! 

Peut-être est-ce cela. On nous a tellement appris qu’on ne « touchait pas aux choses qui traînent ». Il faut d’ailleurs voir la réaction des parents lorsque les enfants s’approchent. Touche pas!

Je prends aujourd’hui la décision de démanteler le Palarbre. Il restera cette image d’un arbre aux fruits bleues dans une nuit de décembre.