Cueillir un livre sur un arbre perché

Un jour, j’ai écrit une lettre aux libraires. Genre je vous aime, mais c’est compliqué. Elle est quelque part sur ce blog. 

Je ne vais pas insister sur l’étrange dérive qui transforme de plus en plus le livre en un produit comme un autre. Je vous en mets 500 grammes? Et je vous l’emballe…

Certes, il existe encore des professionnels dont la passion est intacte, la curiosité fraîche comme une eau claire, la dévoration des mots cannibale, on les devine entrer chaque jour leur caverne d’Alivre Baba à la recherche de trésors pour t’accueillir le lendemain en te disant « j’ai un truc pour toi, ça va te plaire » (salut, l’ami Karim. En fait, il n’est même pas libraire, mais il partage). 

La passion. S’il est une profession dont j’imagine que son péché originel est de cueillir un livre sur un arbre perché, c’est bien celle-là. Libraire. Et pourtant, aujourd’hui, combien sont saisis dans l’engrenage du marché éditorial, les vagues successives des rentrées littéraires, trois mois d’espérance de vie, si tu ne perces pas tu coules, on se concentre sur les têtes de gondoles…

Je vais vous raconter une petite histoire.

Cette année, le Poisson volant a publié une collection de Leporello, des objets littéraires situés entre le livre et la petite œuvre artistique. Impression artisanale, reliure main, sur du papier chanvre, des illustrations fines en papier découpé, une version sonore, musique originale, etc. Un bel objet. Tout le monde le dit spontanément. 

Un OLNI (objet littéraire non identifié). Mais un objet cher. Au milieu des centaines de livres qui s’alignent dans une librairie, ces OLNI disparaissent si on ne les met pas un tant soit peu en valeur, si on ne dit rien de la démarche qui les accompagne. 

En début d’année, j’ai fait la tournée de quelques librairies, j’ai expliqué le projet. Certaines m’en ont pris en dépôt. Le dépôt, c’est la voie de garage des librairies. Elles paieront si elles vendent, moins leur commission (entre 20 et 30%). Il y avait six librairies.

Au cours de l’année 2023, j’ai donc envoyé chaque mois quelques exemplaires des nouveaux  Leporello, avec un petit mot sur l’histoire, l’autrice ou l’auteur, la voix de la version sonore, la couleur de la musique, différente chaque fois. 

Cet automne, j’ai refait le tour. Autant dire tout de suite, un flop. Tout juste de quoi rembourser les expéditions postales, et encore…

Les libraires regrettaient, remarquaient la « qualité des objets » (par politesse, peut-être). Mais le plus remarquable, c’était leur surprise lorsque je leur demandais s’ils avaient écouté les versions sonores. Ah, il y avaient une version sonore?…

Je pose la question: comment peut-on grandir dans un monde où on ne dit plus aux enfants que la terre est bleue comme une orange?