On n’a jamais essayé…

Le RN n’est pas au pouvoir. Mais, si rien ne change, il le sera dans trois ans. Son enracinement croît à chaque scrutin. Là, il a fait trois fois plus de voix qu’en 2022. 

Le mal profond dont souffre la politique française prend racine dans l’absence totale de culture du dialogue. Le constat est alarmant. La société française est fracturée, meurtrie et inégalitaire. Cette réalité devrait encourager une réflexion collective et des débats constructifs. Débattre, dans le sens qu’Etienne Klein donnait récemment: se parler pour ne pas se battre. Et écouter. 

Au contraire, chaque prise de parole renforce les clivages et exacerbe les tensions. On l’a vu dimanche soir. Raphaël Glucksman relevait l’effort accompli lors de ce 2ème tour lorsqu’il s’agissait de voter pour un.e candidat.e  parfois éloigné.e de ses convictions propres pour faire barrage au RN. Seul, il en appelait au dialogue (« il faudra parler, parler, se parler encore ») pour apprendre à gouverner ensemble. On a répondu « naïveté », et on a préféré l’invective. 

Cette polarisation réduit l’espace politique à une bataille rangée, où l’objectif n’est plus de construire ensemble mais de vaincre l’adversaire à tout prix. Tous les coups sont permis. L’extrême-droite, avec ses discours clivants, trouve un terreau fertile dans cette atmosphère de défiance et d’affrontement. Elle s’en nourrit. Sa croissance est symptomatique de l’absence de dialogue. En jouant sur les peurs et les frustrations, elle capte un électorat désabusé, lassé de ne pas être entendu. Le reste de la classe politique peine à proposer des solutions qui rassemblent et se cantonne à une opposition stérile.

Mais pourquoi le dialogue est-il si difficile en France ? Peut-être parce que la politique est encore généralement perçue comme un lieu de confrontation plutôt que de coopération. Le système électoral, qui favorise les majorités au détriment des compromis, n’encourage pas les coalitions et les discussions transpartisanes. De plus, la culture politique française, marquée par une tradition centralisatrice et jacobine, laisse peu de place à la diversité des voix et des opinions. Et la réthorique est un art de combat. Le compromis est perçu comme une faiblesse, non comme un chemin à parcourir ensemble. 

Le problème n’est pas seulement une question institutionnelle, elle est aussi culturelle. Les médias utilisent l’affrontement verbal comme un jeu du cirque, la controverse avant la mise à mort symbolique, une polémique est plus « vendeuse » qu’une discussion de fond. Et les  réseaux sociaux amplifient. Dans ce contexte, imaginer un débat apaisé est, au mieux illusoire, au pire naïf.

Il est pourtant urgent de réinventer la culture politique française. Cela passe par une valorisation du dialogue et de l’écoute. Avec une société appelée à participer activement à la vie commune, aux choix fondamentaux, aux règles partagées, à travers des dispositifs de démocratie participative, des consultations citoyennes et des débats publics. Partout. Et les élus pourraient apprendre à sortir de leur logique partisane pour construire des ponts humains. 

Et si l’on tentait réellement de former les citoyens à l’art du dialogue et du débat, en leur apprenant à écouter, à argumenter et à respecter les opinions divergentes? À l’école, dans les entreprises, dans les médias. Parce qu’une éducation au dialogue est essentielle à la  construction d’une société plus inclusive et plus solidaire.

Pour surmonter les fractures et les inégalités qui meurtrissent quotidiennement la société française, la piste est là. Développer une culture du dialogue. Elle est la condition sine qua non pour restaurer la confiance des citoyens dans leurs institutions et donner un vrai corps à l’idéal républicain de liberté, d’égalité et de fraternité, bien au-delà du slogan sans âme qu’il est devenu. 

Faire du consensus et du compromis la règle du jeu. Illusoire? Naïf? En fait, c’est cela que l’on n’a jamais essayé. 

Minuit moins dix à l’horloge de Poutine 

Le titre est emprunté à une récente étude démontrant le jeu du Kremlin dans l’accession au pouvoir du RHaine. Elle est implacable. 

J’ai rarement eu ce sentiment immédiat que ce que je lisais changeait la face du monde connu de façon aussi radicale. 

C’est le média en ligne La Relève et La Peste qui m’a mis la puce à l’oreille.

Vous connaissez David Chavalarias? Une tête mathématique du CNRS. Un scientifique, déjà auteur du livre « Toxic Data, comment les réseaux manipulent nos opinions » (Poche, 2023). Il est directeur de l’Institut des systèmes complexes et, à ce titre, dirige le Politoscope. Depuis 2016, le projet observe le militantisme politique sur X (ex-Twitter) pour analyser les dynamiques sociales, les débats, et les manipulations. À l’approche des législatives françaises de 2024, il révèle un processus d’affaiblissement et d’inversion du front républicain, principalement influencé par des stratégies du Kremlin. Des actions, exercées sur des périodes prolongées et souvent insidieuses, qui visent à déstructurer systématiquement la société vers une démocratie illibérale. 

Et ça marche!

Avec la dissolution de l’Assemblée nationale, les efforts du Kremlin ont des relais forts du côté de la droite et de l’extrême-droite. L’étude démontre particulièrement une convergence d’intérêts entre Poutine et le RHaine. 

« Dans ce dispositif, écrit Chavalarias, les communautés politiques préoccupées par le conflit israélo-palestinien et la montée de l’antisémitisme ou de l’islamophobie sont instrumentalisées afin de compromettre tout barrage contre une extrême-droite banalisée au second tour des législatives. »

Une biographie politique de Marine Le Pen en russe. « Le retour de Jeanne d’Arc », Kirill Benediktov, 2015

Un processus enclenché il y a longtemps

Parmi les nombreux termes introduits par la Russie et ayant imprégné le débat public, celui d’« islamo-gauchisme » a été largement diffusé entre 2016 et 2021 grâce à une technique appelée astroturfing. La méthode consiste à propager une idée en inondant le Net de milliers de messages, créant ainsi une fausse impression de soutien massif. 

Frédérique Vidal, alors Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, reprend le terme, suivi par les médias et les politiques. Il est aujourd’hui fortement ancré dans le paysage politico-médiatique français. Mais pourquoi le Kremlin chercherait-il à accuser les gens de gauche d’antisémitisme ?

David Chavalarias: « Sa popularisation sert des objectifs bien précis : discréditer les militants de gauche par association et convaincre l’opinion publique de l’existence d’une nouvelle catégorie d’ennemis intérieurs, (…) des extrémistes de gauche alliés aux forces obscures de l’islamisme radical. »

Avec les massacres du 7 octobre, le pilonnage de Gaza et les milliers de morts palestiniens, il a suffit d’enfoncer le clou manipulatoire. 

« D’un côté le Kremlin s’efforce d’amplifier la perception des horreurs de Gaza auprès de la communauté LFI afin qu’elle impose le cadre du conflit israélo-palestinien aux législatives avec son corrolaire sur la monté d’attitudes hostiles envers l’islam. Cela favorise sa radicalisation et, en conséquence, la polarisation politique entre extrême-gauche et extrême-droite. De l’autre les communautés juives traumatisées par le 7 Octobre et la droite ont été matraqués depuis des années par le narratif sur les « islamo-gauchistes » (qui ne peuvent qu’être antisémites) et l’équivalence Nouveau front populaire = LFI . »

Le cocktail est explosif. Le plus impressionnant est que la manœuvre fonctionne parfaitement. Tous les discours et les ni-ni le montrent. 

Pour David Chavalarias, « Deux courants contraires sont amplifiés : le pathos des personnes préoccupées par le sort des Palestiniens et la montée de l’islamophobie ; et le pathos de celles préoccupées par le sort des Israéliens et la montée de l’antisémitisme. Ces deux phénomènes sont bien réels mais leur perception est amplifiée par des actions sur les terrains numériques pour pousser

chaque camp – ainsi que l’extrême-droite raciste et antisémite – à surréagir. »

Vertigineux. Et imparable. 

Références

L’article de La Relève et La Peste est ici. Et si vous souhaitez consulter l’étude de David Chavalarias, c’est .

Légende du graphique

Comptes les plus actifs de la twittosphère politique post-dissolution. Les filaments représentent des échanges entre comptes Twitter, ils matérialisent la circulation d’information au sein du réseau via l’action de partage (retweet). Les échanges entre plusieurs de milliers de comptes Twitter sont représentés sur chaque image, les labels correspondants aux comptes des personnalités politiques les plus représentatives de leur ‘région’. La structure globale, calculée numériquement, reflète les proximités idéologiques des comptes analysés. Une approche mathématique permet de regrouper les comptes par courants idéologiques et de coloriser la carte en fonction. Le Nouveau front populaire, dont la communauté s’est considérablement renforcée au fil des jours, apparaît comme déconnectée du super-bloc “d’en face”, composé de Renaissance et du bloc des extrêmes-droites. Cette configuration suggère qu’un éventuel partage de l’espace en deux camps lors d’un second tour séparerait les deux partis de gouvernement plutôt que de les unir contre l’extrême-droite (…) Il est à remarquer que la communauté Les Républicains, supposée se démarquer des autres, a complètement disparu en tant que communauté autonome dans ce paysage. Carte calculée sur la période du 10 au 27 Juin 2024 ; 3.5k comptes.

Dicker en salade de printemps

On revient sur l’affaire des salades de Joël Dicker. Isabelle Falconnier livre son opinion dans Le Temps. Selon elle, si L’Animal au rayon légumes des supermarchés permet de toucher un lecteur de plus, c’est déjà une petite victoire.

Imaginez le gars qui n’aurait jamais ouvert un bouquin de sa vie, qui penserait qu’Hercule est un poireau ou confondrait Bouillon de culture et soupe légère, que ce gars, par un heureux hasard consommateur, choisissant un cucurbitacée à l’étal d’un géant de l’alimentation, tombe en extase devant le petit Dicker illustré, le ramène chez lui et le cuit aux p’tits oignons. Et un lecteur de plus, un!

Je pense sincèrement qu’elle se trompe.

Un lecteur de Dicker, n’est pas (nécessairement) un lecteur de gagné à la cause littéraire. Dit-on d’un bouffeur de burger au MacDo du coin qu’il devient adepte des sapidités gastronomiques? 

On n’apprend pas le goût des choses et du monde dans les cuisines des fast-foods. 

Prenez un salon, une foire aux livres comme il en existe des dizaines. Approchez-vous de la cohorte en attente impatiente d’une dédicace de Joël Dicker. Tentez de proposer la lecture d’une autrice ou d’auteur qui attend le chaland dans le même salon, à quelques pas de là, il suffirait de peu pour le rencontrer, ouvrir son livre et, qui sait, découvrir quelque de frais, de neuf, de surprenant… or c’est dans les queues interminables de lectrices et de lecteurs de Dicker que les « ça ne m’intéresse pas » fusent le plus souvent. Vous ne vouliez rien vendre, à peine un instant de lecture, un petit cadeau entre quatre yeux et une oreille.

Expérience faite. Plusieurs fois. 

Je ne crois pas que des livres comme ceux de Dicker ouvrent à d’autres lectures, attisent une soif de se plonger dans d’autres mondes, d’affronter des plumes plus complexes, de gravir des sommets inattendus. Au contraire. Ils se suffisent à eux-mêmes. Ils créent cette sensation rassurante que le « sujet, verbe, complément », associé à une construction habile, un suspens de série télévisée, que tout cela nous remplit. 

Là où Isabelle Falconnier a raison, c’est lorsqu’elle écrit que « notre seule question (…) devrait être: comment rendre le livre accessible et désirable? » Sur ce terrain-là, je la rejoins entièrement. Là où sont les gens? D’accord. Dans un supermarché? Pourquoi pas. 

Mais ce ne sera pas avec un navet sympathique. On pourrait peut-être inventer de jolies salades en couleurs. Au fond d’un beau jardin potager, par exemple.

La soupe aux légumes

Joël Dicker sort son nouvel opus. Et des libraires s’étranglent de voir cet « Animal sauvage » côtoyer le rayon fruits et légumes des grandes surfaces. Je souris. Si l’on était vache, on dirait qu’il est normal de voir un navet à proximité des carottes. La blague est un peu facile. On ne va pas se raconter de salades. En réalité, elle ne trahit qu’une chose: la vengeance mesquine d’un auteur sans succès qui juge un autre auteur dont le moindre geste littéraire fait le tour du monde en moins de 80 jours. Je n’ai pas lu l’Animal. J’avais ouvert le premier, l’Affaire…sincèrement, prêt à reconnaître et à m’incliner devant un talent. J’ai lâché à la page 102, après « c’était un jour de mauvais temps ». 

Mais je reviens au centre commercial qui, entre les fraises en février et le rayon boucherie, vend du Dicker à prix cassé, provoquant la colère des libraires. 

Je souffre avec eux. Les mastodontes du commerce ont flairé le filon et ils jouent sans risque. Ils peuvent allègrement se permettre de réduire ainsi leur marge. « Mettez-moi trois tranches de Dicker! ». « Je vous l’emballe ? ». 

Pour les commerciaux de Rosie&Wolf, c’est du chiffre en plus. Tout bénef. Et la catastrophe annoncée dans les caisses agonisantes des libraires. 

Il est loin, le temps où ces mêmes libraires se frottaient les pognes à l’arrivée d’un petit Dicker de printemps. Certains annonçaient même des pré-commandes sur leurs rezosocios et ces annonces ressemblaient un peu à une jambe dont on découvrait le galbe en remontant la jupe (normal, c’était le printemps). On avait beau leur dire qu’ils se fendaient rarement de ce genre d’annonce pour célébrer l’arrivée au monde d’autres livres. Que cette littérature-là, franchement, ne méritait pas une telle promotion, qu’elle n’en avait même pas besoin… 

On oubliait souvent qu’eux, précisément, en avaient besoin. L’univers du commerce est impitoyable. Un navet qui se vend est préférable à une perle qui dort!

Il est plus loin encore le temps où la fonction première du libraire était justement de vous faire découvrir cette perle, d’avoir le temps de la chercher, de veiller au grain littéraire, parce qu’il avait une clientèle ouverte à ces découvertes, avide même. Le temps et la curiosité. Ils et elles existent encore, parfois, ces rêveurs de marque-pages, ces exploratrices du bouquin rare dont la lecture vous ouvre les portes du paradis, mais l’espèce est en voie de disparition. 

Les bibliotopes s’épuisent si les libraires n’ont pas le temps de la curiosité. Et si cette affaire de Dicker au supermarché sonnait le réveil? On pourrait songer à des libraires qui prennent le risque de nous surprendre. 

Le bouc et la brebis


La raison du plus fort n’est jamais en son sexe :
Nous l’allons montrer sans complexe.
Une brebis se promenait
Une nuit de pleine lune
Survint un mâle en rut, qui cherchait la fortune
Que le dédain en ces lieux attirait.
Qui t’autorise, hardie, à vaquer ainsi nue ?
Dit l’animal qui de fait insinue
Qu’une culotte à l’air est un appel clair
Un petit cul fragile, se cache dans les villes.
Non, répond la fille,
Si votre bite se désaltère
Dans le lit des rivières
Où coule votre foutre
Je ne suis point une outre
Sachez que je préfère
Ma liberté légère
Si tel est mon désir
Pour ainsi me vêtir
Gardez vos conclusions
Au fond de vos caleçons
Et apprenez seulement
Ce qu’est consentement.
Là-dessus, d’un pied de nez
Elle laisse seul hébété
Le bouc et son petit gourdin
S’amuser seul avec sa main.