Jouer au fascisme de mille façons

Time Magazine, mai 2024
Nous revenons toujours aux mêmes mécaniques humaines. Tant qu’une blessure ne nous atteint pas, on s’en tape. Et lorsqu’elle nous touche – parce que l’abjection finit toujours par nous atteindre – il est trop tard. Nous avons déjà basculé dans la nuit. 

Nous avions pourtant été avertis. Et il est là. 

Généralement, je me méfie des références aux « ismes » de l’Histoire. Ce sont des étiquettes qui court-circuitent ou interdisent la pensée. Depuis le 20 janvier pourtant, tous les signes d’une dérive fascisante se précise dans l’Amérique trumpienne. Les acteurs, les mots, la manière.

Je suis allé rechercher un texte d’Umberto Eco, « Reconnaître le fascisme »[1], essai tiré d’un discours que l’écrivain italien avait prononcé, en 1995, à l’Université de Columbia, pour célébrer les 50 ans de la libération de l’Europe (l’Histoire a de ces ironies…). 

Contrairement au nazisme, qui suit une idéologie précise et structurée (commençons par un point Godwin), le fascisme observé par Umberto Eco est flou, imprécis, syncrétique. Il infuse le langage et s’impose comme une manifestation rhétorique. Umberto Eco décrit le régime fasciste italien comme une « désarticulation ordonnée » (!), où l’on retrouve des archétypes connus : les arrestations arbitraires, la suppression de la liberté de la presse, le démantèlement des syndicats et des oppositions, des lois et décrets promulgués par le pouvoir sans consultation du législatif, la défense de la race… 

Toute ressemblance n’est pas fortuite. Car, comme le dit Umberto Ecco, on peut « jouer au fascisme de mille manières ». Le caméléon politique s’adapte aux circonstances et au temps. Et de passer en revue les traits multiformes qui caractériseront ce qu’il nomme l’Ur-fascisme, le « fascisme primitif et éternel ».

·      Le culte de la tradition : La vérité étant supposée immuable, toute avancée du savoir est perçue comme inutile, voire dangereuse.

·      Le rejet du modernisme : Le progrès est assimilé à une forme de décadence qui menace l’ordre établi.

·      L’exaltation de l’action pour l’action : La réflexion est considérée comme un signe de faiblesse, tandis que la culture est suspecte car porteuse d’esprit critique.

·      La négation de l’analyse et de la critique : Toute remise en question est perçue comme une trahison.

·      Un racisme inhérent : Exploitation de la peur de l’altérité et de la différence pour renforcer l’unité du groupe dominant.

·      La manipulation des classes moyennes frustrées : Fragilisées par la crise économique, elles sont encouragées à désigner des boucs émissaires, souvent issus des groupes sociaux inférieurs.

·      Un nationalisme exacerbé : L’idée d’une nation assiégée, menacée par des ennemis extérieurs et intérieurs, nourrit des discours xénophobes obsédés par le complot et les invasions barbares.

·      Une vision de la vie comme un conflit permanent : Le monde est perçu comme une lutte incessante contre une multitude d’ennemis, avec la promesse d’un âge d’or futur après la victoire.

·      Un élitisme populiste : Le peuple est glorifié comme le meilleur au monde, mais jugé trop faible pour se diriger lui-même ; il lui faut un leader et une hiérarchie.

·      Le culte du héros : Chaque individu est éduqué à admirer et à aspirer à l’héroïsme.

·      Les métaphores genrées : Elles s’expriment par un machisme qui méprise les femmes et l’homosexualité.

·      La suppression des droits individuels : L’individu est nié au profit d’un peuple envisagé comme une entité homogène, une « ruche » animée d’une volonté commune, justifiant ainsi l’abolition des institutions démocratiques comme le parlement.

·      L’imposition d’une novlangue : L’appauvrissement du langage vise à limiter la réflexion et l’expression de la critique.

En 1995, le discours d’Umberto Eco était une mise en garde : « L’Ur-fascisme, écrivait-il, est susceptible de revenir sous les apparences les plus innocentes. Notre devoir est de le démasquer, de montrer du doigt chacune de ses nouvelles formes – chaque jour dans chaque partie du monde ».

Prenez chaque élément du puzzle et composez-les avec le réel, le monde tel qu’il se dessine aujourd’hui à Washington. Le résultat est glaçant.

[1] Publié chez Grasset, 1997

Dans le canon, tout est bon !

image DALL-E

Le piège s’est refermé. Après le lâchage indigne de Trumsk, l’Europe fragile est contrainte d’envisager seule sa défense et la machine au réarmement est lancé. À lire les commentaires sur les réseaux sociaux, les stratèges en pyjama s’en donnent à cœur joie. Chacun y va de sa lecture définitive, totalisante, il faut, on doit, recette infaillible pour bouter l’ennemi hors du jardin européen. Les 27 de l’Union européenne adoptent un plan de 800 milliards d’euros pour renforcer leur défense.

Dans le canon, tout est bon !

Que faire d’autre, d’ailleurs ? Saisis par l’effet de sidération dans les phares du bulldozer trumskien, de la brutalité de positions qui ressemblent étrangement au narratif poutinien, de ce que l’on perçoit comme un basculement du monde, cul par-dessus tête, on pare au plus pressé, on se prépare à la riposte, on fourbit les armes. Mais, avant d’aiguiser les couteaux, il est nécessaire de les produire. Les actions des principales industries d’armements européennes prennent l’ascenseur (en quelques jours à peine, +18% chez Rheinmetal ; idem pour le britannique BAE Systems; Dassault Aviation, 15% ; l’italien Leonardo, 15%).

Avant que ça saigne, ça va grincer.

Il faut s’attendre à souffrir, apprendre à se serrer la ceinture encore. Emmanuel Macron l’a annoncé l’autre jour. Pour financer l’effort de défense.

Car où va-t-on prendre les ressources ? La réponse n’est pas facile, mais immédiate ! Partout ailleurs, mais surtout le social, la culture, le solidaire, tout ce qui devient « secondaire » lorsque les bruits des tempêtes guerrières résonnent à nos oreilles abasourdies. Et tout cela avec le prétexte de « la paix à sauvegarder ». Vous l’entendez, cette petite musique mille fois entendue : si vis pacem, para bellum

On n’apprend rien. Jamais.

Ce qui est extraordinaire, c’est notre incapacité collective à penser la sécurité autrement qu’à travers ce prisme binaire de la bombe et de la force face à ce qui serait son contraire, la faiblesse et l’absence d’armes.

Et si nous inventions autre chose ?

Oh, pas une réponse à la question de ce que nous ferons demain ou après-demain, lorsque l’ennemi passera la frontière (en oubliant que cette frontière a déjà été franchie depuis longtemps, dans nos têtes, dans nos peurs, dans nos ordinateurs, sur la toile numérique). Non, quelque chose de plus fondamental : un univers, social, écologique, culturel, humain, à construire ou reconstruire (parce qu’il est singulièrement mal en point), des liens à retisser, des valeurs communes à partager, des résistances à préparer. Bref, une attention portée à tout ce que l’on considère précisément comme « secondaire » au temps des tempêtes guerrières. Et que l’on sacrifie sur l’autel de « la sécurité ». Si on se disait, enfin, qu’un peuple est capable de combattre et résister, bec et ongle si nécessaire, lorsque le sens de ce qu’il défend est cultivé et partagé.

Je vois déjà les sourires s’esquisser, les sarcasmes fustigeant la naïveté de mes paroles. Qu’importe. Cela, on ne l’a jamais essayé. Ou si peu. Il y a cette citation, faussement attribuée à Einstein, qui dit que « la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». Et si l’on changeait de perspective ? Et si, lors que nous prendrons les armes et résisterons demain au cœur du massacre du monde, on se souvenait – ne serait qu’une seconde – à ce qu’écrivait Vladimir Boukovski, le dissident soviétique confronté à l’univers totalitaire : « (…) ce n’est pas le fusil, ce ne sont pas les chars, ce n’est pas la bombe atomique qui engendre le pouvoir, et le pouvoir ne repose pas sur eux. Le pouvoir naît de la docilité de l’homme du fait de sa capacité d’obéir ». C’est à la page 35 de son livre « Et le vent reprend ses tours… »[1].


[1] Laffont, 1978

Par ma chandelle verte!

Avez-vous déjà bien observé Trumsk parler? La bouche, le visage, les yeux. Oui, le regard surtout. Cette expression de mépris et de colère mêlée. Une morgue. 

Les mots et leur sens viennent après. 

Hier, je me suis dit: Et si nous relisions le Père Ubu? Il ne serait pas étonnant de retrouver, chez le personnage d’Alfred Jarry, la prochaine réplique de Trumsk, une saillie brutale et absurde dont il a le secret. Écouter Trumsk, c’est plonger dans un théâtre grotesque où tous les coups sont permis, surtout sous la ceinture. 

Le goût de l’outrance est le même. Les discours sont démesurés, la formule provocante, la rhétorique aberrante, entre le crachat désinvolte et la balle entre les deux yeux. 

Il y a chez Trumsk une même avidité du pouvoir. Jarry a donné vie littéraire à un Ubu obsédé par l’accumulation de tout, des richesses,  du pouvoir, un monde où il n’existe ni morale ni justice. Trumsk pareil. L’aune de ses décisions politiques, ce sont ses intérêts personnels.

La comparaison peut s’étendre encore. Chez Trumsk comme chez Ubo, la connaissance est ignorée, la vérité balayée, l’expertise rejetée. Et l’ignorance assumée. Trumsk méprise les scientifiques, les médias, les institutions, préférant une sorte d’instinct animal aux faits établis.

Chez Jarry, le tyran gouverne de manière arbitraire, multipliant les revirements, les choix impulsifs, les caprices de l’instant. Les tweets présidentiels sont-ils différents? Les paroles soudaines, si absurdes qu’il faut se pincer pour en confirmer la réalité, de Gaza à l’Ukraine, en passant par le Golfe du Mexique, révèlent le même style de gouvernance, imprévisible et narcissique.

Le grotesque trumpien en devient presque burlesque. S’il ne mettait en jeu le destin du monde, on se dira qu’il faut bien un temps  carnavalesque. C’est de saison. 

Trumsk, roi autoproclamé. Comme Ubu. Il incarne une forme de caricature politique proche de la farce. Mais le comique cède le pas à l’inquiétude. car le théâtre qui se déroule sous nos yeux est réel. Le cynisme et l’abus de pouvoir en sont la règle. Il faudra sortir de la sidération. Et ce sera douloureux. 

Le combat perdu

C’est fascinant. La bêtise s’installe. Elle prend toute la place, s’insère dans chaque espace, chaque anfractuosité des rezocios. Je n’écris plus, ni réseaux ni sociaux, car ils ne sont plus ni l’un ni l’autre, juste des bouches qui crachent.

Depuis l’arrivée de Trumsk au pouvoir, là-bas, elle se déchaîne, la bêtise. Les chiens sont lâchés. Depuis longtemps, je me dis que l’on a atteint le degré zéro du débat. Mais, là, en ce moment, c’est pire encore. Chaque matin, je me dis « évite de lire les commentaires » et je me fais avoir. Chaque matin, je suis sidéré par la somme des phrases lapidaires, les uns contre les autres, slogan contre fake, emporte-pièce contre réaction viscérale, je te hais, tu me hais, ils se haïssent, cette incapacité à penser, à écouter, à parler, à se parler simplement. Et ces mots que l’on pervertit à force de les utiliser à tort et à travers, paroles reléguées au rang de repoussoir ou d’étendards : wokisme, liberté d’expression, corruption, fascisme, etc.

Relisez Noemi Klein, La stratégie du choc[1], pour comprendre ce qui se déroule aujourd’hui. Reprenez Steve Bannon, l’ancien stratège de Trump, et sa redoutable théorie de la submersion : « flood the zone with shit ». La méthode consiste à saturer l’espace avec des polémiques, vraies ou fausses, pour annihiler tout débat réel. Et, en 2018, Bannon visait principalement la presse : « La vraie opposition, ce sont les médias. Et la façon de les gérer, c’est de les inonder de merde »[2].

Arrêtons-nous sur un des séismes provoqués depuis le 20 janvier à Washington. La première préoccupation est là, d’ailleurs, lorsque la sidération est le résultat de cette stratégie, nous débordant et nous rendant souvent incapables de nous arrêter pour penser… Mais, essayons.

L’offensive de Trumsk contre de multiples secteurs de son administration qu’il estime contraires à sa politique. L’USAID a été la cible la plus symbolique. La plus importante source de financement de l’aide humanitaire dans le monde. Un budget de 42,8 milliards de dollars. On est en droit de s’interroger sur l’utilisation de cet argent et d’exiger des comptes. Mais il y a la manière. Ne serait-ce que pour éviter que la décision ait les effets d’une bombe à fragmentation.

Mon argument ici n’est pas de défendre l’USAID. Ma préoccupation est de voir comment l’onde de choc parcourt le monde et les esprits.

Or, il a suffi des arguments conjugués de Trumsk contre une « organisation criminelle » (Musk sur X) dirigée « par une bande de fous extrémistes » (Trump sur Truth Social), sans aucun élément de preuve, pour que le tam-tam se mette en marche. Je cite, dans l’ordre et le désordre : Finis le gaspillage, la dilapidation des ressources, la corruption généralisée ! À la poubelle les milliers de bureaucrates inutiles ! La bureaucratie qui vit depuis des décennies sur le dos de l’américain moyen chouine et a peur. Il n’y a que les gauchiasses pour ne pas se préoccuper du gaspillage des deniers publics. Etc, etc.  Il y en a des kilomètres comme ça. Et encore, j’ai évité le racisme ordinaire contre « ceux qu’on aide depuis 60 ans et sont incapables de s’en sortir » …

Il ne faisait déjà pas bon être journaliste dans le climat actuel. C’est au tour du fonctionnaire d’être la cible de la vindicte du moment (sans que les premiers soient oubliés).

Est-ce que ces gens qui pondent de tels commentaires – comme ils posent un étron sur la face des autres – imaginent une seule seconde que les « fonctionnaires » dont ils parlent sont des gens comme vous et moi auxquels on dit, du jour au lendemain, « vous êtes viré ! » ? Songent-ils qu’au bout de l’action humanitaire, si imparfaite soit-elle, il y a des enfants, des femmes et des hommes, une part de l’humanité, la plus pauvre, qui va mourir en raison de son interruption brutale ?

On distingue bien la manière dont les amalgames fonctionnent, la multiplication des boucs émissaires que les mesures erratiques de Trumsk mettent en joue quotidiennement pour les livrer aux foires d’empoigne des rezosocios : les immigrés clandestins, les wokistes dangereux, les Trans immoraux, les Européens assistés, les Palestiniens à expulser, les Ukrainiens belliqueux, les journalistes réfractaires …

Je repense à cette citation d’Hannah Arendt qui disait, en 1973 déjà, dans une série d’entretiens : « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien.

(…) Et un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et l’on peut faire ce que l’on veut d’un tel peuple. »[3]

Je n’ignore pas que ce texte, sorti de son contexte, a aussi servi de justification aux complotistes de l’ère COVID. On oublie d’ailleurs généralement le début de cette citation. Je la reprends ici : « Dès lors que nous n’avons plus de presse libre, tout peut arriver. Ce qui permet à une dictature totalitaire ou à toute autre dictature de régner, c’est que les gens ne sont pas informés ».

On retrouve la « méthode Bannon ». Ce combat-là, le journalisme est en train de le perdre. Peut-être l’a-t-il déjà perdu.


[1] Naomi Klein, La Stratégie du choc : La montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008

[2] Conversation avec le journaliste Michael Lewis, 2018

[3] Entretiens d’Hannah Arendt avec Roger Herrera, documents INA, octobre 1973

Les bandits et leurs méthodes

Vous sentez la tempête qui se lève aux États-Unis ? Une tempête radicale, annonciatrice – je vais oser le mot – d’une dictature. D’aucuns diront que j’exagère, que je prends mes fantasmes pour des réalités, qu’il existe suffisamment de garde-fous pour que la démocratie américaine tienne debout dans la tourmente.

Observons simplement les faits, leur succession depuis l’arrivée de Trump au pouvoir, il y a un mois à peine. Avant même. Depuis sa réélection du 5 novembre 2024. On pourrait remonter à 2020, lorsqu’il refusait de reconnaître sa défaite, incitant ses partisans à contester le résultat, jusqu’à l’assaut du Capitole.

Le premier acte était là. La remise en cause des institutions démocratiques, la lente érosion, le doute instillé, répandu… Toutes les dictatures de l’histoire ont commencé ainsi. Par cette idée semée que les branches de l’arbre démocratique étaient pourries et qu’une reprise en main était nécessaire. Et on n’allait pas se contenter de couper les branches. Il fallait détruire l’arbre.

Le 20 janvier, les insurgés du Capitole ont été libérés et le personnel judiciaire qui avait instruit le dossier de la responsabilité de Trump dans les événements du 6 janvier 2021 a été limogé.

Essayons d’imaginer la suite. Et partons des signes avant-coureurs qui ont précédé les dictatures, dans l’ordre ou le désordre, surtout le désordre, la confusion et la sidération provoquées par l’arbitraire.

Petite liste à l’usage des honnêtes gens :

  • La propagande et le contrôle de l’information
  • La délégitimation des contre-pouvoirs
  • La personnalisation de l’autorité
  • La criminalisation de l’opposition
  • L’affaiblissement de la démocratie
  • La restriction des libertés fondamentales
  • L’usage de la peur et de la division
  • La militarisation du pouvoir

Prenez un crayon et biffez ce qui ne convient pas au tableau américain actuel. À part la criminalisation des opposants et la militarisation, tout y est. Et encore, les exceptions ne sont qu’une question de temps. Les injonctions à supprimer de toutes les actions gouvernementales les programmes évoquant l’égalité et la diversité, jusqu’aux mots suspects à censurer de la recherche, l’exigence à dénoncer et écarter les réfractaires, celles et ceux qui osent désobéir, les « irrécupérables », les appels à marquer les insubordonnés au fer rouge…

Écoutez bien Elon Musk et Donald Trump justifier la fermeture brutale de l’Agence américaine pour le développement international. Sur X, Musk condamne l’USAID comme une « organisation criminelle ». Trump estime que l’organisation est « dirigée par une bande de fous extrémistes ». Sans preuve, sinon des rumeurs répandues. L’illustration parfaite du chien dont on dit qu’il est malade pour l’achever. L’USAID, c’est un budget de 42,8 milliards de dollars consacré à l’humanitaire et à l’aide au développement dans 120 pays. La plus importante organisation mondiale. On imagine le chaos provoqué par sa fermeture, les conséquences catastrophiques à travers la planète.

Aujourd’hui, il suffit que les mensonges paraissent comme vraisemblables.

Quant aux démonstrations de force du pouvoir, attendons les soubresauts, les colères, les désespérations, les gestes des millions de gens brisés et laissés sur le carreau par des décisions politiques erratiques. Pour l’heure, les Américains sont saisis par la sidération.

Nous aussi. Pas tous. On sent poindre ici la jubilation de l’extrême, la jouissance à voir débarquer la vague trumpiste de ce côté de l’Atlantique. Sur les rézocios, les langues se délient, se déchaînent. Je lisais hier ces commentaires répétés en boucle qui souhaitent la fin prochaine des « délires wokistes » et des « féminismes », appelant à « éliminer », comme « Trump nous en montre la voie » … Les mots sont encore minoritaires, mais les chiens sont lâchés.

Ils nomment cela la liberté d’expression. « Si la pensée peut corrompre le langage, écrivait Georges Orwell, le langage peut aussi corrompre la pensée. Un mauvais usage du langage peut faire croire à des absurdités et rendre impossible la pensée critique. »[1]

L’autre jour, le poème de Martin Niemöller m’est revenu en mémoire (ce sera mon point Godwin) :

Quand les nazis sont venus chercher les communistes,

je n’ai rien dit,
je n’étais pas communiste.

Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas social-démocrate.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus me chercher,
il ne restait plus personne pour protester.


[1] Georges Orwell, La politique et la langue anglaise, 1946