(photo DALL-E)
Imaginez un dôme de béton lavé où l’on entre religieusement, comme dans une cathédrale blanche. Le silence et le murmure des instants précieux. Vous vous êtes déchaussé avant d’entrer. Deux ouvertures ovales apportent une lumière douce à l’espace. On vous a dit que les œuvres minuscules se trouvent au sol, alors vous avancez prudemment, les yeux baissés.
De l’eau sourd du sol par endroits. Une goutte se forme, grandit, roule en direction d’une pente que l’on ne devine que plus tard, lorsque la goutte devient bille lumineuse, en rejoint une autre, rampe, enfle, s’étire, roule, ralentit soudain jusqu’à suspendre sa course. Elle attend une autre goutte, plus hardie qu’elle, pour grossir encore, de ronde s’allonge, glisse sur le sol en fil animal, serpent liquide qui absorbe au passage des humidités hésitantes, jusqu’à rejoindre une flaque incertaine. Le sol contient des obstacles invisibles. Puis des renforts arrivent en bandes qui bousculent les tranquillités immobiles, les remettent en mouvement, en bribes, en filet ondulant. Lorsqu’elles s’échappent enfin, c’est pour en rejoindre d’autres selon une logique de vallée glaciaire. On perçoit les passages, les pentes minuscules dont les sinuosités rassemblent les flux en direction d’un point de collecte où les eaux finissent par se fondre. Une seconde, je songe à ce poème de Khalil Gibran racontant la peur de la rivière à disparaître dans la mer.
Vous captez alors la chanson de l’eau retournant dans la pierre, un étonnant glou-glou de percolation lente, et vous imaginez le réseau extraordinaire construit pour irriguer chaque parcelle de l’espace, en cycles continus.
C’est beau. D’une beauté indicible. Le temps s’arrête. Vous restez longuement sans geste ni parole, immobile, fasciné par les mouvements multiples des gouttes en cohortes parcourant le sol de cette cathédrale de pierre polie.
Il n’y aura pas d’image. On ne photographie pas une émotion. Vous ne garderez que l’esprit de cet instant vécu entre l’eau et vous.
TESHIMA ART MUSEUM
Architecte: Ryue Nishizawa
Artiste: Rei Naito
https://arquitecturaviva.com/works/museo-de-arte-teshima-4
La peur, Khalil Gibran
On dit qu’avant d’entrer dans la mer, une rivière tremble de peur. Elle regarde en arrière le chemin qu’elle a parcouru, depuis les sommets, les montagnes, la longue route sinueuse qui traverse des forêts et des villages, et voit devant elle un océan si vaste qu’y pénétrer ne parait rien d’autre que devoir disparaître à jamais. Mais il n’y a pas d’autre moyen. La rivière ne peut pas revenir en arrière. Personne ne peut revenir en arrière. Revenir en arrière est impossible dans l’existence. La rivière a besoin de prendre le risque et d’entrer dans l’océan. Ce n’est qu’en entrant dans l’océan que la peur disparaîtra, parce que c’est alors seulement que la rivière saura qu’il ne s’agit pas de disparaître dans l’océan, mais de devenir océan.