Un homme était petit, je ne parle de taille Tout en jouant le roi, à être ridicule Sur les femmes des villes, il fallait qu’il piaille C’est ainsi qu’il était, je veux dire minuscule.
La femme, affirmait-il, est un morceau de choix Lorsqu’elle connaît sa place, et fait ce que j’ordonne Sans les lamentations, sans donner de la voix À ma disposition, attendant que je sonne
Il aimait bien parfois, les caresses exquises De gueuses rencontrées, en dehors de sa couette Mais pour amidonner, repasser ses chemises Il disposait ainsi d’une femme carpette.
Petit, disais-je, cet homme, était du genre poilu Il en avait partout, jusqu’aux murs et plafond On aurait dit le singe, de plus était ventru Pour être juste, la guenon, était un moins couillon.
Sa femme, la ménagère, une nuit de colère Éventra le dodu et piqua sa toison Elle en fit un tapis qu’elle posa à terre Ce fut alors son tour d’être le paillasson.
La morale de l’histoire, immorale comme se doit Est que femme souvent, a de bonnes raisons D’occire son mari, et s’il ne sait pourquoi, Elle saura vous dire toute la déraison.
Je vais mourir et jamais je n’avais pensé que ce serait ainsi. Aussi brutal. Aussi désespéré.
Joseph nous avait donné l’ordre de remonter les lignes. Allez, les gars, après, ce sera la dernière. L’équipage avait surgit, chacun de son côté, les uns de la cambuse où ils réchauffaient leurs estomacs à coup d’eau de vie, juste assez pour rester lucide, raccourcir les heures, les autres du fond de leur bannette, cherchant à gagner du temps sur la nuit, récupérer, s’étendre, tout habillé parfois, la peau collée à leur ciré humide, pour plonger dans le sommeil en rêvant du soleil.
Le cri bref du capitaine nous avait ramené à nos postes comme un film qu’on rembobine, en accéléré, avant de reprendre son histoire.
Le pont arrière est illuminé comme en plein jour. Au-dessus, les moteurs électriques ont déjà commencé à remonter les palangres partant droit dans le sillage du bateau. Les poulies grincent, se tendent, résistent. Le vent siffle à mes oreilles. Je n’entends plus les mots qui viennent du haut, sinon leurs intonations lorsqu’ils disent la colère ou le danger. Je sors les caisses d’appâts sur la plateforme, une masse de calamars et de harengs congelés, les pousse dans l’angle, à portée de main, prêtes lorsqu’il faudra relancer la ligne, après. Puis tout s’enchaîne très vite. Remonter l’orin, faire signe au haleur de ralentir le moteur hydraulique, une seconde, deux peut-être, détacher la bouée, tendre le poing pour lui dire de relancer, me retourner, les doigts déjà gelés, juste à temps pour voir le premier poisson débouler. Je le vois sortir de l’eau brusquement, la gueule écartelée, un grand halibut, il doit fait 150 kilos au moins, son corps se détache sur le fond noir de la mer, une masse luisante, secouée de convulsions, désespérées, il tourne, pendu à l’axe du hameçon, comme une hélice sortant de son axe en hoquets mécaniques, le ventre clair renvoyant la lumière, alternance de noir et de blanc électriques. Il est déjà à ma portée. Je vise la tête avec ma pointe. Un coup sec, donné verticalement dans l’élan de la ligne en mouvement, il s’arrache du métal et mon geste et mes bras accompagnent sa chute au centre du pont. Un éclair métallique s’abat sur lui, s’enfonce dans la chair, et le grand corps disparait dans le ventre de la cale. Juste le temps de revenir face à la mer et le suivant est sur moi.
C’est au moment de relancer que le coup arrive. Je prépare mes appâts lorsque j’entends le hurlement venant du haut. Un son aigu dans le fracas. Je lève les yeux en direction de la voix. C’est Joseph, le patron. Il est pile dans l’axe de la lumière et je ne vois que des mains en contrejour. Elles montrent la ligne. Je me retourne, aperçois la palangre coincée dans la poulie du vireur, le câble tendu comme une corde de piano, à la limite de la rupture. Je cours sans prêter attention au cordage qui s’amoncèle sur le pont. Le palan cède à ce moment-là, une brisure nette à la hauteur de son attache, la détonation d’un coup de fusil et la ligne file à l’horizontale, avec une force telle qu’elle emporte tout, la roue mécanique, le bras qui la tenait, l’ancre reliée à la bouée de tête, le cordage soudain libéré. Il se déroule comme un serpent dont je ne sens la morsure qu’un fraction de seconde avant le choc, une boucle autour de ma cheville, un noeud coulant emprisonnant ma botte avant l’écartèlement, ma jambe gauche d’abord, la droite déséquilibrée glissant sur le pont, mon corps emmené dans le geste, ma tête heurtant le métal du pont, la douleur fulgurante et le froid de la mer à l’instant où je m’y perds.
(Extrait de la nouvelle « L’homme à la mer », publiée dans le recueil collectif « Marins à l’encre », Editions Slatkine 2018, avec Diane Peykin et Mathieu Berthod, un projet de Chamade, Marc Decrey et Sylvie Cohen)
Durant tout le printemps, un nouveau concept sera testé avec la Maison éclose: des lectures multiples. Elles seront organisées autour de « Mes trous de mémoire », le recueil récemment publié aux Editions Slatkine. Différents lieux nous accueilleront, du Salon du Livre de Genève au Musée jurassien des arts, en passant par les librairies de Suisse romande. La première rencontre se tiendra à la Librairie Des livres et moi, de Martigny, le 22 avril, avec Daniel Rausis et Isabelle de Riedmatten. Suivront La Liseuse de Sion (23 avril), le Square des auteurs du Salon du Livre sous les ombrelles lumineuses de la Maison éclose (29 avril) et un vernissage jurassien à Moutier (30 avril).
L’idée des lectures multiples: un espace, plusieurs lieux de lecture, différents lecteurs et lectrices qui proposent des textes, des climats, des tons différents. Les visiteurs passent d’un lecteur à l’autre. Un/e musicienne nous accompagne durant le voyage. Voir l’album photographique du vernissage de Lausanne.
Le programme détaillé d’avril:
Vendredi 22 avril, dès 18h: à l’invitation de la Librairie des livres et moi. Lecteur/lectrice: Daniel Rausis et Isabelle de Riedmatten. Musique: Fabrice Vernay et Benjamin Bender, du Conservatoire de Sion. Invitation (pdf)
Samedi 23 avril: dès 14h30, chez Françoise Berclaz, à la Liseuse de Sion, pour la journée des livrairies indépendantes.
Vendredi 29 avril: de 14h à 16h, au Square des auteurs du Salon du Livre de Genève, lectures sous les ombrelles lumineuses de la Maison éclose. Lecteurs/lectrices: Stéphanie Kohler, John Elbing, Elisabeth Gaillard, Pascal Bernheim, Véronique Mooser.
Samedi 30 avril, de 18h à 21h, vernissage jurassien, en collaboration avec la Bibliothèque municipale, la Librairie Point-virgule et les Editions Slatkine. Lecteur/lectrices: Pascal Bernheim, Véronique Mooser, Elisabeth Gaillard. Musique: Alain Tissot. Un apéritif lunaire suivra la fin des lectures. Invitation (pdf)