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Le piège s’est refermé. Après le lâchage indigne de Trumsk, l’Europe fragile est contrainte d’envisager seule sa défense et la machine au réarmement est lancé. À lire les commentaires sur les réseaux sociaux, les stratèges en pyjama s’en donnent à cœur joie. Chacun y va de sa lecture définitive, totalisante, il faut, on doit, recette infaillible pour bouter l’ennemi hors du jardin européen. Les 27 de l’Union européenne adoptent un plan de 800 milliards d’euros pour renforcer leur défense.
Dans le canon, tout est bon !
Que faire d’autre, d’ailleurs ? Saisis par l’effet de sidération dans les phares du bulldozer trumskien, de la brutalité de position qui ressemblent étrangement au narratif poutinien, de ce que l’on perçoit comme un basculement du monde, cul par-dessus tête, on pare au plus pressé, on se prépare à la riposte, on fourbit les armes. Mais, avant d’aiguiser les couteaux, il est nécessaire de les produire. Les actions des principales industries d’armements européennes prennent l’ascenseur (en quelques jours à peine, +18% chez Rheinmetal ; idem pour le britannique BAE Systems; Dassault Aviation, 15% ; l’italien Leonardo, 15%).
Avant que ça saigne, ça va grincer.
Il faut s’attendre à souffrir, apprendre à se serrer la ceinture encore. Emmanuel Macron l’a annoncé l’autre jour. Pour financer l’effort de défense.
Car où va-t-on prendre les ressources ? La réponse n’est pas facile, mais immédiate ! Partout ailleurs, mais surtout le social, la culture, le solidaire, tout ce qui devient « secondaire » lorsque les bruits des tempêtes guerrières résonnent à nos oreilles abasourdies. Et tout cela avec le prétexte de « la paix à sauvegarder ». Vous l’entendez, cette petite musique mille fois entendue : si vis pacem, para bellum…
On n’apprend rien. Jamais.
Ce qui est extraordinaire, c’est notre incapacité collective à penser la sécurité autrement qu’à travers ce prisme binaire de la bombe et de la force face à ce qui serait son contraire, la faiblesse et l’absence d’armes.
Et si nous inventions autre chose ?
Oh, pas une réponse à la question de ce que nous ferons demain ou après-demain, lorsque l’ennemi passera la frontière (en oubliant que cette frontière a déjà été franchie depuis longtemps, dans nos têtes, dans nos peurs, dans nos ordinateurs, sur la toile numérique). Non, quelque chose de plus fondamental : un univers, social, écologique, culturel, humain, à construire ou reconstruire (parce qu’il est singulièrement mal en point), des liens à retisser, des valeurs communes à partager, des résistances à préparer. Bref, une attention portée à tout ce que l’on considère précisément comme « secondaire » au temps des tempêtes guerrières. Et que l’on sacrifie sur l’autel de « la sécurité ». Si on se disait, enfin, qu’un peuple est capable de combattre et résister, bec et ongle si nécessaire, lorsque le sens de ce qu’il défend est cultivé et partagé.
Je vois déjà les sourires s’esquisser, les sarcasmes fustigeant la naïveté de mes paroles. Qu’importe. Cela, on ne l’a jamais essayé. Ou si peu. Il y a cette citation, faussement attribuée à Einstein, qui dit que « la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». Et si l’on changeait de perspective ? Et si, lors que nous prendrons les armes et résisterons demain au cœur du massacre du monde, on se souvenait – ne serait qu’une seconde – à ce qu’écrivait Vladimir Boukovski, le dissident soviétique confronté à l’univers totalitaire : « (…) ce n’est pas le fusil, ce ne sont pas les chars, ce n’est pas la bombe atomique qui engendre le pouvoir, et le pouvoir ne repose pas sur eux. Le pouvoir naît de la docilité de l’homme du fait de sa capacité d’obéir ». C’est à la page 35 de son livre « Et le vent reprend ses tours… »[1].
[1] Laffont, 1978