La résistance solitaire

photo Jeff Widener, AP


Depuis le geste d’Ahou Daryaei, je lis quelques réflexions qui relèvent l’inutile sacrifice auquel conduiraient ces gestes solitaires. 

À quoi auraient servi les bras croisés d’August Landmesser, le 13 juin 1936 à Hambourg ? Lors du lancement d’un navire de guerre, en présence de Hitler, on le voit refuser, bras croisés, au milieu d’une foule de personnes faisant le salut hitlérien. Une photographie immortalise l’attitude. Emprisonné après une tentative de fuite au Danemark, la mort de sa femme juive au camp de concentration de Bernburg, il sera enrôlé de force dans la Wehrmacht et mourra sur le front croate en 1944. 

Quelle serait l’utilité du geste extraordinaire de l’inconnu qui, le 5 juin 1989, sur la Place Tienanmen, s’est posé devant des chars chinois venus écraser les manifestations étudiantes ? L’image – que dis-je, l’icône, montre un homme, vêtu d’une chemise blanche et tenant des sacs de courses, seul face à une colonne de chars Type 59 de l’armée chinoise. Il a même grimpé sur le premier char pour parler au conducteur. La résistance pacifique d’un homme sans nom. 

Jusqu’à ceux et celles qui, anonymes, tout au long de l’Histoire, lors des massacres turcs en Arménie, en Allemagne nazie, au Vietnam, en URSS stalinienne, au Chili, dans toutes les dictatures sud-américaines, au cœur de l’Apartheid sud-africain, sous les machettes rwandaises, à Gaza aujourd’hui (j’en oublie), ont refusé de se soumettre, par l’acte ou la parole, ont dit non ou ont simplement tourné le dos à leurs bourreaux, pour finir une balle dans la tête. Ils et elles n’ont eu pour témoin que des foules terrorisées, complices parfois, impuissantes souvent, dans le bruit et la fureur du silence. À quoi a servi leur résistance ?

C’est ce que qu’écrivent aujourd’hui des stratèges en cravate. Il faut « s’organiser », « agir de concert », « établir une toile d’araignée pour ne rien laisser passer », jusqu’à conclure qu’ « un soulèvement ne s’improvise pas » (sic). La posture des raisonnables. Il y a de l’indécence dans ces « leçons de stratégie ». En les lisant, je repense à cette phrase d’Andreï Sakharov : « La puissance d’un État totalitaire ne réside pas dans ses armements, ses blindés, ses services de police ni ses frontières fermées. Sa puissance réside dans l’obéissance docile des citoyens et leur participation au mensonge commun ».

Qui sommes-nous pour juger l’homme qui, intimement, entre lui et lui, dit je n’irai pas plus loin ? Ou la femme déchirant son voile pour revendiquer sa liberté ? 

La résistance ne se décrète pas. Quelqu’un qui, même solitaire, s’oppose à l’injustice, mérite notre respect. Et un peu d’humilité.

Elle se nomme Ahou Daryaei

Elle vit dans un monde où le regard de l’autre l’emprisonne, lui impose de porter des vêtements qui lui couvrent le corps entier, le visage, les cheveux, voile noir dont le but est de faire disparaître ses formes, jusqu’à la rendre invisible.

Je pense à ces portraits d’une mère et de sa fille. Sur la série de photographies, au fil du temps, les visages et les tenues, joyeuses et colorées, se couvrent progressivement de tissus dont la couleur se fond au noir du décor. De la vie à la mort. Jusqu’à les effacer. Là, elles sont afghanes, mais elles symbolisent toutes les femmes en noir du monde. Celles dont une morale, un régime politique, des hommes, ne veulent plus que des ombres. 

Hier à Téhéran, Ahou Darayei, une jeune étudiante en littérature, a dit non. 

Elle s’est déshabillée, ne gardant que ses sous-vêtements, avant de poser ainsi dans la rue. Un défi aux regards fuyants des autres. Une résistance face à l’indifférence. Un acte de courage. 

Car il en faut du courage pour ainsi s’exposer à la répression des gardiens et des mollahs. 

On se souvient de Mahsa Amini, morte en cellule, le 16 septembre 2022, après son arrestation pour « port incorrect du hijab » par la police des mœurs. Elle avait 22 ans. 

Hadis Najafi, 20 ans, tuée de 6 balles par la police lors d’une manifestation. Une vidéo la montrait dévoilant ses cheveux. 

Vida Movahed, « la fille de la rue Enghelab ». Elle avait porté silencieusement son voile blanc au bout d’un bâton durant d’une heure. C’était le 27 décembre 2017. 

Narges Mohammadi, 52 ans. Militante des droits humains emprisonnée à plusieurs reprises par le régime iranien. Prix Nobel de la Paix 2023. 

Nasrin Sotoudeh. Avocate des droits humains. Elle défendait les femmes arrêtées pour avoir refusé le niqab. Le 13 juin 2018, elle a été condamnée à 10 ans de prison et 148 coups de fouet pour « incitation à la débauche ». 

D’autres encore. Et nous regardons. 

L’Irlande en réalité virtuelle


Une pub absolument géniale de la marque de bière irlande Old Irish. En collaboration avec l’agence Leavinstone. Une opération en réalité virtuelle étonnante qui va faire voyager les passants de Tbilissi à un pub de Dublin. Et…

Dans ses yeux

Une expérience menée à Berlin par Amnesty. D’un côté, des réfugiés (Syriens surtout). De l’autre, des Européens (des Polonais, des Italiens, des Allemands et des Belges) – des gens “ordinaires”. La consigne: se regarder dans les yeux durant 4 minutes.

Les explications d’Amnesty sur le contexte de l’expérience

Quand l’insulte tient lieu de pensée

Les observateurs observés se déchainent et s’étranglent. Petit florilège des qualificatifs dont j’ai été affublé après la « lettre ouverte aux observateurs et aux souffleurs de haine sur les braises du monde« :

« crétin, médiocre, contradictoire, infantile, adolescent boutonneux, pitoyable, risible, vierge effarouchée, abruti, malhonnête, déchet culturel, de la m****, triste sire, grotesque, niais, incompétent, ignare, très mauvais journaliste, parasite, nauséabond, médiocre suiveur, bobo, pitoyable, médiocre (tout court cette fois), neuneu du service public, con, imbus personnage, malfaisant de la bienpensance (sic), socialo, hystérique psychotique, grand lobotomisé et hypnotisé, charognard perfide, oligophrène, ersatz de journaliste, garde chiourme de Levrat, guigolo (sic) médiatique, gauche qui pue, affreux gauchiste, « journaliste » (notez les guillemets), bisousours hébété, abruti dans le déni, guignol, type d’excité gauchiste, traître au pays et à ses traditions, moron, consanguin, dhimmi honteux, endoctriné perdu, pire crevure et stalinien ».

MISE A JOUR (9.1.2016). On ajoutera encore:
« tartufe, crypto-communiste au service de l’ensauvagement de l’occident, pauvre choux, propagandiste pro migrants musulmans et nazislamo-kollabo ».

Je m’y attendais, mais il est toujours assez drôle de voir l’insulte se répandre lorsqu’elle sert de pensée.