Dans ses yeux

Une expérience menée à Berlin par Amnesty. D’un côté, des réfugiés (Syriens surtout). De l’autre, des Européens (des Polonais, des Italiens, des Allemands et des Belges) – des gens “ordinaires”. La consigne: se regarder dans les yeux durant 4 minutes.

Les explications d’Amnesty sur le contexte de l’expérience

Pour écrire un seul vers

Le partage nécessaire, impératif, de ce texte de Rilke, pour écrire un seul vers, dit par Laurent Terzieff

“Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas (c’était une joie faite pour un autre), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.”

Rainer Maria Rilke (1875-1926) – Les Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910)

Rilke Par Laurent Terzief

Le silence et l’insignifiance

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Je quitte ces lieux de l’entre guillemet littéraire où l’indifférence est la règle, où personne ne se réjouit des mots de l’autre, où l’on aime par calcul en attendant la réciproque, où l’intérêt se compte et se décompte, où chacun se tait, n’entame aucun dialogue, où l’on se tient à carreau, juste pour observer, surveiller, plus que regarder vraiment, lire vraiment, écouter vraiment ce que l’autre dit, écrit, souffle et pense.

Peut-être devrais-je aussi lâcher le réseau, cette caisse de résonance vide de raisonnance, cet espace où mille paroles nous disent les émois du moi, et moi, et moi. Lorsque le flux remplace le fond, le fond des choses, le fond des bois, le fond de la mer à boire, le fond de nos verres à partager, même le fond touché d’êtres que nous aimons, le profond.

Il y a de belles personnes. Elles viennent des quatre coins du monde. Nos petites rencontres sont du vent dans mes voiles. Elles gardent ma petite barque à flot. Il suffit de quelques mots échangés, vas, vas-y, avançons, j’aime te lire, à l’air, au lit, au citron, je suis là, si as besoin de moi, si tu veux parler, parle, ne dis rien, reste en silence, voyons-nous, je comprends, j’écoute, je t’écoute, je te suis, j’attends la suite, arrêtons-nous un instant et regardons le monde respirer. C’est parce qu’elles existent que je n’écris pas le mot fin ici.