Lettre ouverte aux observateurs et aux souffleurs de haine sur les braises du monde

Je vous écris après la colère. Vous êtes pathétiques, les observateurs.ch! Les agressions sexuelles de la nuit de la Saint-Sylvestre, à Cologne, ont tout de la bonne affaire pour vous. Vous tenez enfin entre les mains un événement qui renforce vos thèses les plus abjectes et vous vous engouffrez dans la brèche. De plus, les journalistes n’ont pas fait leur job (c’est un fait), empruntés qu’ils sont, en même temps, par le devoir de rendre compte et le souci d’éviter l’huile sur le feu… Cela vous permet d’entonner dans la même mesure l’air de « on vous l’avait bien dit » et « les pourris médiatiques nous manipulent ». Équation parfaite. Les femmes elles-mêmes, victimes des viols, vous importent peu. Elles ne sont, dans vos commentaires, que les instruments de votre haine en plaque.

Serions les choses. Les faits d’abord.

La nuit du 31 décembre, des groupes de jeunes hommes ivres, « d’apparence arabes ou maghrébines », ont agressé des femmes. A Cologne, ils ont profité de la foule rassemblée autour de la cathédrale et de la gare centrale en cette nuit de Nouvel An. Des scénarios similaires ont eu lieu ailleurs en Allemagne, à Stuttgart et Hambourg. Les témoignages convergent. Ils parlent d’attouchements violents, directs, des femmes spécifiquement visées, harcelées, violées et volées parfois. Les faits dénoncés sont extrêmement graves. La police allemande n’a rien vu venir. Cette nuit-là, elle n’a apparemment rien fait, n’a arrêté personne. Elle dit aujourd’hui, plusieurs après les événements: «Nous avons affaire à une forme de criminalité organisée d’un type inédit». Parole de Wolfgang Albers, le patron de la police de Cologne.

Arrêtons-nous un instant là-dessus.

L’hypothèse d’actes délibérés, coordonnés, organisés pour provoquer effroi et stupeur. Exactement comme les gestes terroristes de Paris, le 13 novembre, ou les meurtres de Charlie Hebdo, il y a un an. Ce n’est qu’une hypothèse, c’est vrai, mais elle éclaire la scène de manière un peu plus complexe que l’accusation des « hordes de migrants ». Elle a aussi le mérite d’une certaine logique.

Car on revient toujours à une question essentielle, celle de savoir à qui profite le crime.

Une logique – atroce mais vraisemblable – qui part de la déchirure syrienne ou du chaos irakien, de la terreur djihadiste du groupe État islamique, des vagues de réfugiés provoquées, dans les pays limitrophes longtemps, sur les routes des migrations en direction de l’Europe ensuite, les flux débordant tout le monde, par leur nombre, la simultanéité, l’urgence, les divisions politiques qu’ils provoquent. Et, maintenant que les abcès migratoires sont installés un peu partout, de Berlin à Calais, il suffit de quelques étincelles pour provoquer la déflagration. Les déflagrations, en réalité, car elles sont et seront multiples. Les plus graves sont à venir encore. Les enquêtes sont en cours, mais je crois qu’il y a continuum entre les attentats à de Paris et les viols de Cologne.

Ainsi, je m’adresse à vous, les observateurs.ch, vous qui, du haut de vos miradors, hurlez depuis mille ans aux « invasions barbares ».

Il est terrible de devoir rappeler, encore et toujours, que les souffrances des hommes, des femmes et des enfants qui fuient les guerres sont réelles. Personne ne nie que les mouvements de réfugiés drainent aussi d’autres formes de migrations. Les organisations criminelles et terroristes, les trafiquants d’êtres humains, toutes les mafias en utilisent les brèches pour atteindre leurs objectifs, s’enrichir et nous toucher au cœur. Et c’est là que, dans vos obsessions xénophobes, vous vous trompez de cible: le danger ne vient pas des réfugiés, mais de ceux qui les instrumentalisent.

A la source de la terreur comme ici, de Daesh à toutes les droites dures européennes, il existe une complicité objective, une sorte d’alliance des contraires qui, en fin de compte, accentuent les clivages, provoquent le repli, nourrissent les mêmes peurs, les mêmes angoisses existentielles.

Les observateurs (je pourrais aussi m’adresser à tous les porte-paroles de la haine de l’autre, mais c’est à vous que je le dis parce que vous êtes là), je vous lis et j’ai souvent le coeur au bord des lèvres.

Observez vos discours entre les lignes, les haines attisées, la violence de plus en plus décomplexée qui s’exprime, les commentaires en forme d’appels au meurtre, les rumeurs de lynchages, les ratonnades virtuelles, tous ces mots qui soufflent sur les braises du monde. Alors même qu’il faudrait les apaiser, penser les fractures et panser les plaies, réfléchir à la complexité pour comprendre, raconter et écouter les autres, créer des liens, écrire et se taire parfois, méditer, ouvrir des portes, être curieux.

Qui dira un jour la lourde responsabilité des pyromanes?

Pierre Crevoisier

MISE A JOUR [8.1.2016]:

Les enquêteurs de Cologne ont identifié 31 suspects. Parmi eux, 18 sont des demandeurs d’asile. Il faudra que l’enquête aille jusqu’au. Et que les faits soient dits. Je souligne ce passage de l’article du Temps: « Deux hommes – un Marocain et un Tunisien – ont été (…) arrêtés à Cologne en possession de téléphones portables sur lesquels étaient consignées des vidéos des agressions sexuelles de Cologne, ainsi qu’une liste d’insultes et de menaces à caractère sexuel traduites de l’arabe en allemand. » Cela laisse supposer une organisation, une préparation, une intention qui va bien au-delà de la « horde avinée ».

Trafic de désirs

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Il est là! Le recueil des nouvelles de la #maisonéclose. Quinze textes pour explorer le désir. Huit artistes graveurs de l’atelier Le Poisson Bouge y croisent leurs regards avec les mots. Deux CD accompagnent le livre. Ils contiennent les nouvelles lues par leurs auteurs.

Le recueil est disponible dans toutes les bonnes poissonneries et ici.

En attendant mes trous de mémoire

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Il y a une certaine impatience à tenir #mestrous entre mes mains. Je ne sais pas vous, mais moi, oui! #mestrous, c’est le petit nom que j’ai donné à mes trous de mémoire, le bouquin qui paraitra chez Slatkine début 2016.
Tenez! En attendant le plaisir de suivre les mots, je vous propose déjà les musiques que l’on pourrait associer à chaque nouvelle.

Installez-vous confortablement dans le hamac du temps, un petit vent dans les voiles, un pur malt à portée de main et écoutez les sons avant les mots (ils arrivent à petits pas d’éditeur).

L’homme sans nez
« Remembering« , Avishai Cohen, tirée de l’album At home, 2005

Un songe ne ment jamais
« The Narcissist« , Dean Blunt et Inga Copland, tiré de The Narcissist II, 2012

La tache bleue
« Bafio », Barbouze de chez Fior, tiré de l’album Polysomnographie, 2014 (si vous avez un lien… en attendant, le site de ces géniales musiciennes est ici)

La femme invisible
« Leila au pays du carrousel« , Anouar Brahem, tiré de l’album Le pas du chat noir, 2001

Un venteur de moi
« Busy« , Ibrahim Maalouf, tiré de l’album Illusions, 2013

Louise et Hugo
« Que reste-t-il de nos amours » puis « Jardin d’hiver« , versions chantées par Stacey Kent dans Raconte-moi, 2010

Comment le monde a disparu
« Red Right Hand » , bande originale du film Peaky blinders, Nick Cave And The Bad Seeds, 2014

Le voyage en Océgon
« Otto e mezzo« , Nino Rota, thème du film éponyme de Federico Fellini, 1963

Les yeux de Knock
« By the sea » et le thème du film de « L’Eternité et un jour », de Théo Angelopulous, musique d’Elini Karaindrou, 1998

Le suicide d’un personnage
« Empty dream« , Youn Sun Nah, tiré de l’album Lento, 2013

Moderna
« Cammina Cammina« , chanson de Pino Daniele, la version de Piers Faccini et Vincent Segal, tirée de l’album Songs of time lost, 2014