Elle portait un manteau rouge (chapitre 11)

Dimanche 19 août

J’ai touché sa bouche. La mienne ne sera plus jamais la même après cette empreinte. C’était hier soir en été et la marque me brûle encore comme un fer incandescent. Elle penche la tête, mes lèvres se rapprochent, il y a les lumières au loin, leurs reflets sur le lac, la ville en murmure, tout cela en perspective derrière la courbe du menton, un vent léger, la focale de ma caméra intime, élargie pour tout saisir, pour tout capter, la distance, vertigineuse encore de plus en plus infime, sa lèvre inférieure se détache, éclôt délicatement, elle ferme les paupières, attentive toutefois au moindre déplacement des sens, donne le rythme, c’est elle qui dicte l’approche, sans mot dire, les mots n’ont plus leur place, je perçois son souffle, maintenant, l’haleine et l’odeur, cet instant de la perception où tout pourrait s’arrêter, se briser net si le nez refuse, mais il se tait, le nez, il hume, se fond, s’immerge, puis mes lèvres effleurent, se retirent, se rétractent à l’instant précis de la rencontre avec sa supérieure à elle, attendent une invite à poursuivre, alors le souffle s’interrompt, la ville se tait derrière, jusqu’à ce qu’elle imprime ce mouvement à l’ourlet et vienne placer, emboiter justement, la fine courbe à l’orée de ma bouche. Je ne vais pas plus loin. J’aimerais que cet instant s’arrête, que la vie elle-même s’achève à cette seconde, mes deux lèvres parcourant la surface humide de la sienne, enserrant la chair sensible, suçant, timidement d’abord, avant la morsure, la langue impatiente interdite de séjour sur ce territoire délicat.
Ni l’un ni l’autre n’a interrompu ce premier baiser avant un temps incommensurable ni n’a cherché à franchir d’autres frontières de nos intimités. Ce moment-là révélait tout et nous l’avons su immédiatement. Une fulgurance. Aucune parole n’a d’ailleurs été nécessaire après, longtemps après, lorsque la nuit a englouti toute chose alentour, nous laissant seuls avec la sensation d’avoir touché l’univers.

Elle portait un manteau rouge, Ed Tarma 2013